Label « Ecoquartier », nouvelle étape vers la ville durable?

Label Ecoquartier

Décembre 2012, le Ministère de l’Ecologie dévoile son tant attendu label « écoquartier ». Pour rappel il a organisé, en 2009 et 2011, deux éditions du concours « Ecoquartier » qui ont suscité beaucoup d’enthousiasme auprès des collectivités locales porteuses de projet, 160 dossiers avaient été soumis lors de la 1ére édition et 393 dossiers lors de la 2éme. Les dossiers parvenus au Ministère constituaient autant d’études de cas qui ont alimenté la réflexion pour concevoir le futur label.

Pour compléter la démarche et afin de tester le label sur des cas réels (probablement des membres du club écoquartier), et de faire les ajustements nécessaires avant publication officielle, un appel à projets a été lancé durant l’année 2012.

Une première lecture du dossier de labellisation en fait ressortir un document clair et concis facilitant la mise en œuvre d’un processus complexe. Il évoque les différents objectifs (engagements) que doit poursuivre un écoquartier et détaille la procédure d’attribution du label. L’existence de ce label soulève cependant quelques questions sur les écoquartiers en France, la stratégie de généralisation du phénomène et plus généralement sur la ville durable.

La teneur du dossier de labellisation …

Le dossier de labellisation (téléchargeable depuis ce site) se décompose en 3 parties :

  1. le recueil de données sur la collectivité et l’écoquartier. Cette étape permet de contextualiser le projet et de renseigner les données sur le territoire (informations géographiques, démographiques, politiques, administratives). Elle permet également de dresser une carte d’identité du projet et ses modalités opérationnelles (nom de l’opération, superficie, surface de plancher, surface des espaces verts, portage, MOA, partenaires, …). Effectué en phase amont, cette étape fait état du projet tel qu’il a été défini et projeté.
  2. la remise d’un dossier de présentation libre du projet, suivi d’une description de « 24H de la vie d’un écoquartier ».
  3. une évaluation (quantitative et qualitative) reposant sur 20 engagements et dénombrant 20 critères d’évaluation et 20 indicateurs chiffrés. Les indicateurs chiffrés sont calculés automatiquement en fonction des informations préalablement définis à l’étape 1. Les évaluations sont faites par des experts et sont notées sur une échelle de 1 à 3 en fonction des réponses apportées par les candidats aux différentes questions. Des données qualitatives sont fournies par la collectivité sur les différentes notions proposées par le label.

… et sa mise en œuvre

L’obtention du label s’effectue en 3 étapes clés :

  1. En phase amont, la signature de la Charte écoquartier est un pré-requis à la labellisation. Elle traduit l’engagement de la collectivité porteuse du projet dans sa démarche de développement durable.
  2. La soumission du dossier à la « Démarche nationale EcoQuartier ». Après signature, la collectivité peut choisir un accompagnement (gratuit) technique et méthodologique des services déconcentrés de l’Etat pour l’appuyer dans l’élaboration de son projet. Une fois le projet arrêté, elle peut soumettre son dossier d’admission à la démarche nationale.
  3. L’attribution du label. Le label ne peut être obtenu que lorsqu’au « moins 50 % des espaces et équipements publics et  30 % des bâtiments » sont livrés, si l’avis rendus par les auditeurs est positif.

Une triple expertise sera conduite lors de l’admission à la démarche (étape 2) et de l’attribution du label (étape 3). Sauf erreur de ma part, il n’est pas précisé si cette expertise est effectuée par 3 instances distinctes et ce point est à éclaircir.

La grille d’évaluation utilisée pour l’attribution du label est la même que celle remplie lors de la première remise du dossier. Elle est, à ce stade, évaluée non plus en fonction des objectifs mais des résultats.

Il est à noter qu’entre l’étape 2 et l’étape 3, un accompagnement est proposé pour permettre un suivi annuel de l’opération et assurer la mise en œuvre des objectifs.

Un référentiel d’indicateurs simple

Le ministère a fait le choix de retenir des indicateurs chiffrés en nombre restreint. Qui plus est, il sont simples et peu discutables (ex : % de logements sociaux, nombre de places de stationnement/logement, % de chaleur produite par EnR, …). Les critères d’évaluation plus subjectifs sont soumis à l’intelligence des experts qui analyseront les dossiers. Ce choix paraît très judicieux à condition que les services de l’état (ou ses partenaires) soient en mesure d’assurer l’évaluation de chacun des dossiers et que les collectivités ne se cantonnent pas au strict respect des critères introduits par le label mais qu’elles prennent aussi en compte les déterminants locaux (issus du diagnostic) afin de fixer des objectifs adaptés.

20 critères et indicateurs - Label écoquartier

A de nombreux égards critiquable, l’évaluation de projets urbains durables présente plusieurs avantages directs et indirects récemment inventoriés par un article en ligne qui relate l’expérience parisienne (Jégou, Anne et al., « L’évaluation par indicateurs : un outil nécessaire d’aménagement urbain durable ? », Cybergeo : European Journal of Geography, décembre 2012**), notamment une meilleure connaissance du territoire pour faciliter la prise de décision ainsi qu’une meilleure prise en compte de la temporalité du projet. L’expérience de la ville de Rennes fait part de la nécessité d’élaborer un référentiel pour partager une culture commune (aux différents services) du projet urbain durable.

Si le label Ecoquartier, bien conçu, sera assurément utile aux différents acteurs de l’aménagement, la démarche et l’existence du label même posent néanmoins des questions de fond sur les objectifs à long terme et la stratégie mise en œuvre.

Distinguer les véritables opérations du green-washing

Les projets d’écoquartiers se multiplient depuis les dernières années en France. Le terme a fait l’objet d’une appropriation rapide et le concept jouit d’une bonne image tant auprès des élus que des habitants. Certains acteurs de l’aménagement en font un usage abusif notamment afin de prévenir les oppositions ou pour faciliter l’adhésion au projet (qui, aujourd’hui, peut être hostile à un projet d’écoquartier?). Il suffit pourtant d’un rapide coup d’œil sur les objectifs de certaines opérations auto-revendiquées « écoquartier » pour comprendre qu’elle ne sont que des opérations urbaines classiques.

L’arrivée du label Ecoquartier qualifiera ces projets au regard de critères de performance pré-établis. Elle permettra de distinguer les véritables écoquartiers des opérations de green-washing, c’est d’ailleurs l’un des objectifs affichés. Mais dans les faits, elle permettra de distinguer seulement les candidats, portant au pinacle les meilleurs d’entre-eux et refusant les moins habiles. Compte-tenu de l’investissement engagé par la maîtrise d’ouvrage pour l’obtention d’un label, les non-retenus devraient être peu nombreux (et nous nous en réjouissons). Mais quid des non-candidats au label porteur de projets ambitieux? A moins que l’ensemble des projets sérieux soient soumis à labellisation, il régnera toujours un flou autour de ces opérations parmi lesquelles des bonnes et des mauvaises.

Label « Ecoquartier », le chaînon manquant de la conception urbaine durable?

Les nord-américains, anglais et japonnais ont conçu et éprouvé leur référentiel de conception et évaluation de quartiers durables il y a quelques années déjà. Respectivement, LEED ND, BREEAM Communities et CASBEE Urban Development donnent lieu à une certification. Le positionnement tardif de l’Etat français sur les écoquartiers n’est pas un problème au regard de ces référentiels internationaux mais il l’est davantage à l’échelle nationale. En effet, certains acteurs ont déjà engagé des démarches similaires ou apparentées, citons HQE Aménagement par l’association HQE, l’AEU de l’ADEME, @d aménagement durable de la région Île de France mais aussi les différents référentiels élaborés par les villes (Rennes, Paris, Montpellier, …) elles-mêmes. Notons par ailleurs, au niveau européen, la sortie concomitante du Reference Framework for European Sustainable, co-conçu par le gouvernement français. Si ces démarches contribuent à la richesse des réflexions et débats sur l’urbanisme durable, elles brouillent aussi la compréhension et la lisibilité du sujet (preuve en est, la DRIEA réalise en ce moment une enquête sur les outils et pratique de l’aménagement durable).

Dans une optique de généralisation des opérations d’urbanisme durable, l’urgence est bien de communiquer un message clair et lisible. Compte-tenu de sa portée nationale et de son portage étatique, le label Ecoquartier pourra, espérons le, contribuer à cette communication. Mais on peut s’interroger sur le choix de ne pas avoir concentré les efforts sur une démarche unique (ou des démarches resserrées).

Pour construire la ville durable, dépasser l’écoquartier?

Si le référentiel renforce le discours sur le « faire la ville différemment« , il marque paradoxalement davantage la frontière déjà palpable entre la production de quartiers durables et la production d’opérations standards. Si la collectivité engagée dans le processus de labellisation veillera à respecter les objectifs fixés, on peut supposer, à l’inverse, que les objectifs d’aménagement de la collectivité n’étant pas impliquée dans la démarche, pourraient manquer d’ambition ou être revus à la baisse les premières difficultés rencontrées. Des opérations emblématiques sortiront de terre ici et là – comme c’est déjà le cas depuis quelques années, mais en quelle proportion de la production urbaine? En d’autres termes, l’écoquartier conçu comme un objet de sacralisation permettra-il de construire la ville durable? Alors que l’écoquartier est censé être par nature innovant, l’approche normative qui se diffuse à travers les référentiels et labels à plutôt tendance à restreindre la créativité des aménageurs. L’enjeu prioritaire semble de faire de l’écoquartier un objet urbain ordinaire – le niveau zéro de l’aménagement urbain, auquel viendrait s’adjoindre des expérimentations diverses qu’elles soient techniques ou sociales, permettant ainsi de faire émerger des projets singuliers mais aussi de nouvelles pratiques urbanistiques.

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